Le divorce au tribunal : vers plus d’humanité ?
Le divorce au tribunal : vers plus d’humanité ?
Article publié sur le site Village de la Justice
La raison d’être de la justice est de servir l’être humain.
Ce dernier est impliqué aussi bien dans des litiges judiciaires que dans des conflits de personnes sous-jacents.
La prise en compte de ces deux aspects devrait s’illustrer davantage encore dans le pays des droits de l’homme.
Qu’en est-il aujourd’hui concernant le divorce et quelles seraient peut-être les pistes à explorer pour cheminer vers encore plus d’humanité ?
I – Bref historique et situation actuelle.
En matière de divorce, s’est longtemps imposé un système au sein duquel le juge était le seul maître à bord avec la loi comme référence.
L’objectif essentiel était le règlement du litige, sans trop de considération pour la sensibilité des concernés.
Ainsi, les éprouvantes procédures pouvaient durer des années (parfois jusqu’à 15 ans !).
Cependant, la justice s’est réformée lors ces dernières décennies.
Depuis 1975, le divorce à l’amiable – dit “par consentement mutuel” – a été introduit dans les pratiques.
Il permet aux conjoints, s’étant mis d’accord sur les modalités et souhaitant mettre un terme à leur union, de faire officialiser le divorce par la justice.
Cette réforme reconnaît le pouvoir de décision aux époux et accélère la procédure.
À ce stade, le besoin d’accompagnement émotionnel n’est pas encore envisagé dans le dispositif judiciaire.
Le règlement amiable des divorces a vu son utilisation augmenter durant dernières années : +8,6% de 2014 à 2016 (Chiffre tiré des statistiques du Ministère de la Justice).
En 1995, la médiation est introduite en justice, dans l’optique d’améliorer le service rendu aux personnes et, dans la foulée, de désengorger les tribunaux.
Par voie de conséquence, la prise en compte des émotions est instaurée.
Cependant, si le champ de la médiation judiciaire reste limité légalement (compte tenu du plafond d’honoraires et du délai maximal de trois mois, voire six mois si renouvellement), et ne permet pas pour l’instant un travail de fond, il concrétise une volonté d’humanisation de l’institution judiciaire et un mode de résolution alternatif.
En 2017, le divorce extrajudiciaire permet à un couple d’officialiser leur désunion à l’amiable, en un temps record et à prix réduit, ce qui constitue un bouleversement dans les usages.
Alors qu’il répond à l’attente du public, ce chamboulement culturel prend en réalité les parties de court.
Les divorcés n’ont ni le temps, ni les repères, ni l’accompagnement nécessaire pour prendre la mesure du tournant qui s’opère dans leur vie.
En ce début d’année 2021, la réforme du divorce contentieux privilégie la recherche d’accord, tout au long du processus, alors qu’auparavant n’existait qu’une seule phase de conciliation, préalable à la procédure.
Encore aujourd’hui, malgré ces réformes, que le divorce soit contentieux ou amiable, les esprits ne sont ni sensibilisés ni préparés à la question de la réparation émotionnelle.
La justice d’alors ne relevant que du litige semble avoir marqué les esprits pour ne plus savoir prêter attention à ses propres déchirures.
La justice a effectivement ouvert la porte à la médiation, qui la fait opérer en ce sens, mais son introduction est trop récente pour déjà opérer un réel changement dans les mentalités.
II – Procédures de divorce : Avantages et inconvénients.
A. Prise de recul :
Le divorce judiciaire, par la longueur de la procédure, a l’intérêt de donner le temps aux parties civiles de prendre conscience des enjeux et d’accepter la rupture, sans pour autant traiter le problème émotionnel.
B. Risque de déresponsabilisation :
Le divorce sur fond de désaccord conduit les parties à s’en remettre à l’autorité du juge.
Bien que cette passation de pouvoir s’impose par la situation, cela a tendance à les infantiliser.
De plus, les échanges s’effectuent par personnes interposées, incarnées par les avocats, dont le rôle est pour autant indispensable.
Ces deux dispositifs favorisent un phénomène de déresponsabilisation, car les parties se dépossèdent de leur parole et de leur pouvoir de décision au profit de tiers.
Il leur permet d’occulter leur vécu commun en limitant les échanges au strict règlement du litige.
Cette attitude est susceptible d’attiser le conflit alors que parents et enfant(s) traversent déjà des moments difficiles.
C. Une posture judiciaire inadaptée :
Hors cas de violence avérée, aucun des deux conjoints n’a commis de crime ni de délit.
Pourtant, les parties civiles sont presque traitées comme des accusés
- convocation à la seule discrétion du tribunal et droit d’expression limité
- alors que leur situation personnelle requiert, de manière évidente, une écoute et un soutien.
D. Le poids du divorce :
Si le divorce judiciaire permet de régler le litige, il constitue une démarche longue et éprouvante pour les époux, en plus de surcharger les tribunaux.
En outre, il n’intègre aucunement l’aspect émotionnel et thérapeutique : quid du ressenti et de la crise du couple, une fois la décision arrêtée ?
E. Répétition de schémas :
Le système de jurisprudence peut inciter à la répétition d’un modèle préétabli pourtant néfaste à la sensibilité de la sphère familiale.
Il en va de l’équilibre des parties et des enfants.
Ainsi, la décision pour la justice de mettre en place une résidence unique chez l’un des parents ou une résidence alternée devrait découler d’une analyse au cas par cas et non de la pratique courante du moment.
Par ailleurs, il est notable que dans la majorité des cas, la résidence unique reste fixée chez la mère.
F. L’autorité parentale menacée :
À la suite de plainte ou allégation en début de procédure de l’un des époux envers l’autre, même en l’absence de faits vérifiés, la justice est contrainte d’exclure le parent incriminé du système familial.
Même lorsque l’enquête montre finalement que ces mesures s’avèrent injustifiées, les enfants restent privés du secours de leur parent, lui-même interdit de son autorité parentale, et ce, jusqu’à la fin de la longue procédure.
S’il est impératif de séparer un parent, « dit dangereux », de ses enfants sur la base d’une simple accusation, il est d’autant plus urgent de restituer, une fois les faits établis par l’enquête, ses droits parentaux sans plus attendre la fin de la procédure.
Dans la situation actuelle, le temps de traitement de ce type de dossier banalise presque ce que supportent parents et enfants pendant de longs mois, voire des années, et provoque un antécédent portant atteinte à leurs liens.
Ainsi, pour accélérer le résultat de l’enquête, il serait judicieux de donner aux magistrats la faculté de s’adresser à des ressources indépendantes, plus réactives, dans l’intérêt de la famille.
III – La médiation judiciaire : une avancée inédite.
A. Une place inespérée pour la médiation :
Le système judiciaire a attribué une place et un rôle exceptionnels aux médiateurs qui leur ont permis de déployer considérablement leur activité.
Assis à côté du magistrat, il leur a octroyé une fonction particulière et innovante dans le déroulé de la justice.
B. Le médiateur de couple, l’allié d’un divorce judiciaire humanisé :
En contrepartie, la médiation de couple permet de faciliter le divorce au moment présent.
Elle aide les futurs divorcés à poser leurs ressentis pour mieux panser leurs blessures, à accepter la situation et, in fine, à mieux envisager leur situation future.
Elle se déroule dans un cadre apaisé, rétablit l’échange et favorise la compréhension mutuelle.
De leurs côtés, l’avocat et le juge sont focalisés sur le litige, pendant que le justiciable, vu les épreuves qu’il traverse, avance « le nez dans le guidon ».
L’intervention du médiateur – et de tout autre professionnel de la question familiale – se trouve alors tout indiquée pour amorcer leur résilience, en privilégiant, le cas échéant, la voie du divorce à l’amiable tout en allégeant les tribunaux.
IV – Un premier pas vers le traitement des émotions :
La médiation judiciaire est en période probatoire. Toutefois, elle a d’ores et déjà prouvé son intérêt, car, dans les faits, les magistrats l’ont adopté et intégré dans leur pratique courante.
En effet, le rôle du médiateur se révèle crucial parce qu’il n’incarne pas une posture autoritaire, à l’instar de celle du juge.
Le médiateur ne tranche pas, mais cherche plutôt, dans une approche de type maïeutique ou heuristique, à amener les deux parents à s’entendre, en considérant leur bien-être émotionnel et celui de leur(s) enfant(s).
Il présente l’avantage de préserver, voire restaurer, autant que possible, la fonction et position de chacune des deux parties.
De plus, permettre aux personnes de se replacer dans un contexte sous lequel le dialogue/champ lexical n’est pas conflictuel est un atout non négligeable pour apaiser le conflit.
V – Dispositif actuel et problématiques.
A. Un problème d’indépendance :
La médiation étant ordonnée par le juge, les médiateurs peuvent être tentés de lui donner satisfaction, ce qui peut porter atteinte à leur indépendance et à leur neutralité.
Si le médiateur est tributaire du juge, dans l’exercice de sa profession, les deux parties civiles le sont indubitablement aussi.
Elles sont enclines à faire des concessions pour s’entendre convenablement et ne pas risquer les aléas d’un jugement.
Dans cette configuration, il est cependant très compliqué pour le couple en crise de trouver une solution véritablement amiable, comme on pourrait s’y attendre en médiation conventionnelle.
B. Des limites en termes de rémunération :
Les honoraires de la médiation familiale judiciaire sont plafonnés – actuellement de 833 euros à 1 666 euros HT – selon que le juge décide ou non de renouveler l’opération.
Selon les affaires, ces restrictions affectent de manière importante les possibilités d’action du médiateur.
C. Le système actuel prévoit, en outre, les modalités suivantes :
- Le juge peut prononcer une injonction d’information à la médiation. À l’issue de l’entretien préalable, accordé à titre gratuit, les parents peuvent l’accepter ou la refuser
- Parfois, les avocats ne communiquent pas. Le juge peut alors leur demander d’entrer en entretien préalable de médiation afin d’établir le dialogue entre eux deux. Cette entrevue gratuite précède l’entretien préalable entre les parties civiles
- À titre gracieux, le médiateur est aussi tenu d’assurer une permanence de médiation judiciaire et de participer à des réunions avec les avocats et les magistrats référents coordinateurs.
- Ne pas oublier la charge de travail importante, mais non comptabilisée du médiateur : administrative et les aléas (recherche des coordonnées, prise de RDV, relance, rapport, etc.).
Finalement, le médiateur n’est rémunéré que pour le temps passé en consultation de médiation avec le couple, les autres prestations étant gratuites par la loi.
Pourtant, le médiateur est diplômé et expérimenté.
Il participe à de la formation continue et à des séances d’analyse de la pratique qui représentent pour lui un coût financier.
D. S’inspirer de la médiation pénale :
Une fois sa période probatoire passée, la rémunération de la médiation judiciaire pourrait légitimement être revue, à l’image des règles d’application de la médiation pénale.
En effet, pour cette dernière, les honoraires sont pris en charge par le procureur et diffèrent selon qu’il s’agit d’un entretien préalable ou d’une médiation, un dédommagement étant de plus prévu au cas où les parties ne se présentent pas au rendez-vous de médiation.
VI – L’ouverture aux émotions : Des pistes pour une justice plus humaine.
A. Vers une procédure bienveillante :
Pour rendre la procédure de divorce plus humaine, il est incontournable de s’occuper du conflit, en plus du litige.
Pour cela, deux suggestions semblent déjà pertinentes :
– Le changement du cadre spatial : passer du tribunal public au cabinet du juge pour atténuer le ressenti sentencieux induit par le protocole (comme cela est déjà le cas au Canada et aux États-Unis),
– Un traitement plus compatissant :
Associer les époux aux prises de rendez-vous et les encourager à prendre la parole.
Il conviendrait aussi de travailler à réunir les conditions pour que la majorité des divorces se concluent par une résolution amiable.
Dans ce dessein, l’introduction légale de la médiation pourrait servir d’amorce à une ouverture vers d’autres ressources aidantes.
B. Une piste de réforme :
Pour l’assister dans ses hautes fonctions, le juge dispose de ressources prévues par la loi
pour l’éclairer dans ses décisions (expertise psychiatrique, enquête sociale, etc.).
Si ces corps de métiers référencés par les textes de loi couvrent les besoins courants, des situations particulières nécessiteraient d’autres compétences.
Auquel cas, le juge pourrait faire appel à des représentants de la vie civile tels que des responsables religieux, des thérapeutes ou des professionnels du secteur social.
Enrichir les dispositions légales et donner au juge la possibilité d’y faire appel sous forme contraignante contribuera à intégrer dans le rendu du jugement la singularité des parties.
Par opposition aux médiateurs judiciaires, ils seront des rapporteurs, au même titre qu’un psychiatre, afin d’éclairer le juge.
De plus, les couples se sentiront intégrés dans leur particularité et seront plus à même d’accepter les conclusions du jugement.
À l’image de la médiation judiciaire, l’intervention sera prise en charge par les justiciables.
Toutefois, elle sera répartie au cas par cas par le juge, le coût devant parfois être supporté par une seule des parties.
Un exemple concret :
Il y a peu de temps, un juge a prononcé une injonction d’information à la médiation familiale dans le cadre d’un divorce qui peinait à avancer, avec des enfants en souffrance.
Il m’a sollicité précisément, car il s’agissait d’un couple israélite.
Cependant, j’ai estimé que la médiation n’était pas adaptée dans ce cas et lui ai suggéré de modifier l’injonction en médiation par un accompagnement.
Malgré sa volonté avérée de faire appel à mon expertise, il ne pouvait pas émettre une telle injonction, compte tenu des dispositions légales actuelles.
C. Faire intervenir les “experts” au préalable :
Ces professionnels pourraient encadrer les parties au plus tôt, idéalement avant le début même de la procédure de divorce.
Cela permettra d’apaiser le conflit, de faire réfléchir les conjoints sur le mode opératoire et de convertir un nombre non négligeable de démarches conflictuelles en approches amiables, voire remettre en cause la décision de divorcer.
D. Préparer convenablement les prétendants au divorce :
De la même manière que les conjoints ne voient pas toujours la crise se construire, ils ne sont pas toujours conscients de la diversité des aides à leur disposition.
De même, ils s’engagent dans un processus de justice sans trop mesurer les répercussions.
Ils entrent dans un univers étranger, accompagnés de leurs avocats, où le mode de communication entre eux change de registre.
– de l’intime au judiciaire – ce qui accentue encore la désorientation liée à leur crise.
Si la médiation judiciaire, introduite dans les divorces contentieux, contribue à apaiser les relations, les approches amiables pourraient être bien plus largement développées.
En complément du traitement du litige, la résolution amiable évoluerait vers une justice à caractère plus humain.
Pour rendre spontanées les consultations chez les professionnels de l’aide, il convient de développer une stratégie pour faire évoluer les mentalités et changer le regard sur le recours à ces ressources.
Il s’agirait de leur faire découvrir les bienfaits de l’intelligence émotionnelle mise à profit du traitement de la crise.
Afin de mieux éclairer les esprits et d’ouvrir les horizons des personnes, il serait profitable d’investir davantage, et plus en amont, sur les aspects formation et information, et de prolonger l’action des permanences de médiation vers d’autres professionnels :
– En multipliant les lieux de sensibilisation, à l’instar des Maisons de Justice dans le domaine du droit et de la conciliation (service public gratuit),
–En aiguillant davantage le public vers ces ressources,
– En ouvrant l’information à la médiation, mais également vers d’autres ressources et dispositifs d’approches amiables et de travail sur soi comme la PNL, le conseil, l’accompagnement, thérapie de couple.
VII – Pour conclure :
Le système judiciaire s’est inspiré d’autres pays en ouvrant la porte au traitement du conflit émotionnel.
Bien que le chantier n’en soit qu’à ses prémices, organiser le fonctionnement de la justice autour de l’homme et non autour de la procédure ; et développer une stratégie, bien en amont du cadre juridique, mais sous son entité, visant à sensibiliser le public à la résolution amiable, tant au niveau du litige que du conflit, contribuera à une justice plus humanisée tout en allégeant de façon importante les tribunaux.
À condition que le pouvoir politique lui prête main forte, la justice, conformément à la constitution française, pourra à son tour servir de modèle d’humanité aux autres pays.
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